Introduction : les trois étapes de croissance
Les « plateformes » sont l’ensemble des systèmes automatisés qui facilitent la rencontre entre une offre et une demande. Il s’agit des marketplaces de biens (Fnac.com), de services (Airbnb), des réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn) ou encore des plateformes de matching (sites de dating ou de recherche d’emploi).
Au cœur du modèle plateforme, on trouve l’effet réseau : la valeur créée dépend moins du service en lui-même que du nombre d’utilisateurs qui l’adoptent. En utilisant Facebook ou LinkedIn, on cherche en effet à rejoindre la communauté d’utilisateurs la plus vaste possible.
Pour le lancement d’une plateforme, cet aspect a des répercussions majeures, parfois mal comprises par les acteurs traditionnels. Schématiquement, on obtiendra l’un des deux résultats suivants, sous forme de tautologies :
- « Personne n’est sur la plateforme car personne (d’autre) n’y est » : on reste empêtré dans un cercle vicieux
- « Tout le monde est sur la plateforme car tous (les autres) y sont » : c’est l’équilibre autoporteur que toutes les plateformes cherchent à atteindre
Nous avons constaté que, pour y parvenir, la plupart des plateformes aujourd’hui référentes (Facebook, Airbnb, LinkedIn, etc.) ont en fait traversé trois étapes. Le schéma ci-dessous résume la séquence.
Dans une première phase, « 1) Les tout premiers utilisateurs », elles ont brisé le cercle vicieux initial et amorcé une dynamique d’adoption.
Elles ont ensuite amplifié cette dynamique, par un effet boule de neige, jusqu’à atteindre « 2) La masse critique ».
Ce qui permet in fine l’adoption quasi-totale par le marché visé, aux dépens des concurrents. Comme au poker, « 3) The winner takes all ».
Partant, nous avons identifié les leviers concrets utilisés pour s’imposer. Beaucoup restent mobilisables encore aujourd’hui.
A travers cette étude, qui nous a conduit à exhumer les premiers pitch decks de Facebook ou Airbnb, nous proposons donc de comprendre la dynamique de croissance des plateformes, et surtout, les leviers qui marchent pour la mettre en œuvre.
1. Les tout premiers utilisateurs
Une entreprise qui lance une plateforme se trouve confrontée au problème classique « de la poule et de l’œuf » : il faut recruter des utilisateurs qui attendent eux-mêmes que d’autres utilisateurs rejoignent la plateforme. Pour dépasser ce cercle vicieux, il existe deux solutions.
1. 1. Quand cela est possible, contourner le problème en mobilisant une audience déjà existante.
C’est la stratégie adoptée par de nombreux sites de e-commerce. A l’instar de Fnac.com ou Laredoute.fr, ils ont développé leurs marketplaces sur la base de sites déjà populaires. Il suffit de recruter des vendeurs tiers en mettant en avant l’audience existante. Malgré une possible cannibalisation de l’offre en propre, ces nouveaux vendeurs contribuent à leur tour à accroître l’audience : la dynamique est alors enclenchée.
1. 2. Quand on part de zéro : utiliser des techniques de Growth Hacking…
Quand on ne dispose pas d’une telle audience (par exemple en tant que startup ou parce qu’on développe un marché nouveau), « amorcer la pompe » requiert un peu d’ingéniosité. Et à vrai dire, il n’existe pas de recette toute faite. Plutôt des techniques ingénieuses que chacun doit inventer en fonction de sa situation. Et ce toujours en avance de phase car ces techniques perdent en efficacité en même temps qu’elles se démocratisent : c’est l’univers du « growth hacking ».
Citons quelques exemples :
- LinkedIn : mobiliser son réseau personnel
Lors du lancement de la plateforme en 2003, les 13 membres de l’équipe ont invité des contacts issus de leurs cercles proches, soit 112 personnes. Dans les semaines suivantes, Reid Hoffmann (un des fondateurs) a poursuivi cette stratégie en la focalisant sur son réseau très « select » de la Silicon Valley. Avoir auparavant co-fondé, puis revendu PayPal, a sûrement facilité les choses…
- Airbnb : s’adosser à une audience existante
Pour inciter les premiers utilisateurs à mettre leurs logements en location sur Airbnb, l’équipe s’est appuyée sur le site Craiglist (équivalent de Leboncoin dans le monde anglo-saxon). Chaque hôte ayant posté une annonce sur Airbnb avait la possibilité, par un clic supplémentaire, de la poster également sur Craiglist. Ceci qui a permis à Airbnb de bénéficier de l’audience de Craiglist tout en conservant en propre la gestion de la location.
1. 3. … sur des segments de marché localisés et sélectifs
On voit que ces stratégies sont toujours ancrées sur des segments de marché localisés et/ou sélectifs (le réseau très premium de Reid Hoffman pour LinkedIn, des événements générant une demande de locations ponctuelle, mais importante, pour Airbnb).
Imaginez par exemple que Facebook ne rassemble que quelques centaines d’utilisateurs. Si ces derniers sont des utilisateurs lambda disséminés partout dans le monde, vous ne trouverez probablement pas d’intérêt à vous inscrire. En revanche, si ces mêmes personnes appartiennent à votre cercle social immédiat, l’équation change radicalement.
Marc Zuckerberg ne pensait pas autrement lorsqu’il a lancé son réseau social sur le campus de Harvard. Avant de l’étendre à l’ensemble des campus américains et mondiaux, comme le montre le pitch deck ci-dessous.
Par ailleurs, des segments à fort potentiel permettront de démontrer un modèle économique en dépit d’une communauté encore restreinte. Et ces utilisateurs valorisés socialement généreront un effet d’attraction qui permettra d’amorcer la dynamique.
Autres leviers possibles
- Démarcher les utilisateurs offline. Comme Etsy, qui a recruté ses premiers vendeurs dans les foires d’artisans.
- Proposer un produit qui a une valeur « standalone », par lui-même : l’adoption massive renforce cette valeur mais ce n’est pas un prérequis. Ainsi, Opentable ou Doctolib sont avant tout des systèmes de réservation.
- Pour les plateformes bifaces : préinscrire et approcher les vendeurs avec des demandes clients déjà concrètes (voir la fintech Doxo)
Dans un prochain article, nous verrons comment atteindre la masse critique et la conserver.