Alors que, dans l’univers logiciel, quelques lignes de code peuvent suffire à changer de business model, les modifications dans la Deeptech impliquent souvent des démarches longues et coûteuses. Nous avons vu précédemment qu’il était donc nécessaire d’être sélectif sur les essais et pivots à réaliser.
En complément, on peut essayer de s’affranchir, autant que possible, des contraintes physiques en utilisant à bon escient les outils numériques de conception de produit.
Quelles sont les grandes familles d’outils qui permettent de « tester » et de bifurquer à moindres frais dans l’univers Deeptech ?
Levier n°9 : Utiliser les outils digitaux et de simulation pour expérimenter à moindre coût
Une multitude de procédés permet de fabriquer et modifier des produits technologiques et/ou hardware à des coûts qui restent abordables. En voici quelques une :
Les jumeaux numériques (Digital Twin) pour tester des paramètres techniques
Les jumeaux numériques sont des répliques numériques d’un objet ou d’un système. Il devient donc possible d’apporter modifications ou d’effectuer des tests sur ces maquettes plutôt que sur leurs équivalents « physiques ». Avec à clé des gains en temps et en argent.
Cet avantage est d’autant plus prononcé que l’on modélise des objets / systèmes complexes, comme des moteurs d’avion ou des éoliennes.
Un enjeu clé est de garantir la conformité de la maquette à l’objet représenté et à son environnement. C’est une condition sine qua non pour obtenir des résultats de simulation fiables.
Le Cave Automatic Virtual Environment (CAVE ou Cube immersif 3D) pour tester l’ergonomie de produits complexes
Si le jumeau numérique permet de tester de nouveaux paramètres techniques, il nous aide peu à apprécier le « look and feel » du produit en développement. C’est ici que des technologies de réalité virtuelle deviennent intéressante. Les casques immersifs d’abord. Mais aussi, pour des produits complexes, les environnements de type « CAVE » restent supérieurs en matière de champ de vision, de qualité visuelle, d’absence de « sentiment d’enfermement », etc.
Utilisés notamment dans l’automobile, les CAVE sont des pièces dans les lesquelles sont projetées des vidéos en 3D, créant une expérience immersive. L’utilisateur, dont les mouvements sont analysés par des capteurs, peut interagir avec son environnement et par exemple faire l’expérience d’un habitacle automobile sans que ce dernier ne doive être produit « physiquement ».
L’investissement de départ est onéreux mais, une fois les coûts fixes amortis, les itérations peuvent être quasi-infinies.
La fabrication additive / L’impression 3D pour le prototypage rapide
Au-delà d’être devenue un concept grand public, la fabrication additive est aussi et surtout la meilleure amie de l’ingénieur Deeptech agile. Pourquoi ? Elle permet de produit à prix unitaire constant (donc, « à la demande », pour des exemplaires uniques) avec une rapidité sans égal sur ce type de série.
Comme nous le rappelle Théophile Guettier, spécialiste de cette technologie chez Bosch, « La fabrication additive permet de tester des innovations très rapidement et à moindre coût. Nous ne sommes plus dans une gestion de projet type « Waterfall » […] mais dans une approche itérative beaucoup plus agile. »
Devant le besoin urgent de tester certains composants de sa voiture, l’équipe de course automobile anglaise Strakka Racing s’est tournée vers cette technologie.
Et ses limites éventuelles ne doivent pas être un frein pour l’employer. Peugeot a produit par ce biais 80% des composants intérieurs du concept-car Fractal, tout en l’associant à d’autres procédés de fabrication.
Ce court panorama, qui devra être précisé et/ou enrichi en fonction du domaine concerné, montre la possibilité d’itérer sur des projets technologiques malgré les contraintes. Finalement, c’est l’imagination qui constitue la vraie limite !
Levier n°10 et conclusion : ne pas dérouler une « méthode »
Au terme de cette liste, nous souhaiterions conclure par dernier levier qui n’en est pas un, sous forme d’ouverture et de mise en garde.
Les leviers mentionnés ne doivent certainement pas laisser penser qu’il suffirait de les appliquer aveuglément pour en capturer les bénéfices. Au contraire, nous pensons qu’il s’agit d’exemples destinés à alimenter la réflexion. Leur application ne peut être que sélective, spécifique au contexte, au produit, aux contraintes.
Le pire serait de faire du « faux Agile » : se parer des atours, du vocabulaire, du « cérémonial » pour finalement ne rien changer. C’est peut être rassurant — surtout dans la Deeptech où le terrain est moins balisé — mais cela reste finalement très peu créateur de valeur.
D’ailleurs, si l’ « Agile » a montré sa pertinence dans des environnements incertains, un bon vieux « cycle en V » sera plus efficace si les spécifications sont connues d’emblée et peu susceptibles d’évoluer.
Ainsi, nous comprenons et partageons les critiques des membres les plus impliqués de cette communauté : « Agile is dead, Long live agility! » nous dit l’un d’entre eux.
Gardons donc toujours en tête les visées fondamentales de la démarche : tirer parti des « surprises » plutôt que de les subir, réaliser des développements plus rapides et moins coûteux, être toujours en phase avec les attentes clients.
Au-delà du formalisme, nous considérons que tout ce qui pourra contribuer à atteindre ces objectifs ira résolument dans le bon sens.